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Témoignage

Une « communauté » sous pression

01 avril 2019

Jean-Arnold de Clermont, ancien président de la Fédération protestante de France, cofondateur de l’Apatzi, détaille les obstacles sans nombre qui sont posés sur la route des gens du voyage.

Comment la situation des gens du voyage a-t-elle évolué ces dernières années ?

S’il y a évolution, elle est négative ! Un élément a été déclencheur en 2014. La France a été condamnée pour l’existence de ce qu’on appelait le livret de circulation, que les voyageurs devaient faire viser régulièrement dans les gendarmeries. Ce livret était stigmatisant ; il a été supprimé. Il fallait alors arriver à ce que le droit commun s’applique à eux, que disparaisse enfin toute législation d’exception. Or c’est le contraire qui s’est produit. Pour deux raisons. D’abord parce que le livret de circulation tenait souvent lieu de carte d’identité. Et lorsque ces personnes ont souhaité obtenir une vraie carte d’identité dans une mairie, on leur a demandé de passer par les CCAS (centres communaux d’action sociale). Puis CCAS et mairies n’ont cessé de se renvoyer la balle. Ainsi, ces citoyens de longue date se retrouvent aujourd’hui, pour une partie, sans justificatif de leur citoyenneté française. Pour avoir une carte, il faut un logement. Or leur habitat régulier dans une caravane n’est pas reconnu comme un logement par l’État français ! C’est un cercle vicieux.

Nous constatons un deuxième problème. La Loi Besson, de juillet 2000, demande à toutes les communes de créer des aires d’accueil pour les gens du voyage, et aux départements, des aires pour les grands passages – ces étapes de groupes qui se déplacent pour des pèlerinages ou des rassemblements, d’avril à octobre. Du côté de Vie et Lumière, cela représente entre 110 et 130 groupes de 50 à 100 caravanes, qui circulent pour des raisons économiques autant que spirituelles. La Loi Besson n’a pas été suivie, pour 50 % des communes ou communautés de communes et pour 90 % des départements. Certains groupes occupent ces aires de façon durable et il s’avère à terme que l’État pousse à la sédentarisation. Or la vie en habitat mobile – être stables durant l’hiver (pour la scolarisation des enfants) et circuler l’autre partie de l’année en exerçant des métiers compatibles avec la mobilité –, c’est une donnée culturelle importante pour nombre de familles. De plus, elles perçoivent la sédentarisation comme un facteur d’immoralité, à cause des risques de trafics de drogue, etc.

Qu’en est-il de ceux qui souhaitent acheter du terrain ?

Certaines familles acquièrent un peu d’espace en zone constructible, posent leur caravane, construisent progressivement ; et cela se passe bien – même si leur arrivée dans un village provoque toujours une réaction a priori et que le maire peut être tenté de refuser le permis de construire. À d’autres, on a cédé un terrain non constructible (la caravane ne peut en principe y stationner que trois mois), sans branchement électrique ni service des eaux. Autre cas : dès qu’elles souhaitent acheter un terrain, il y a préemption de la mairie, même si elle est illégale. La sédentarisation ou semi-sédentarisation s’est faite parfois par l’acquisition de terrains non constructibles sur lesquels des familles de voyageurs avaient peu à peu bâti. C’était le cas en Essonne. Et soudain, le département veut tout détruire... Or, curieusement, ces terrains seraient désormais constructibles, ils valent aujourd’hui des milliers d’euros au mètre carré !

© Wikimedia Commons

 

Ces dernières années, il y a eu des explosions de violence, inhabituelles, de la part de familles de voyageurs, qu’on sent désespérées. Jusqu’où peut aller le rapport de force ?

À mon avis, il y aura de plus en plus de problèmes, si les choses se poursuivent ainsi. Le 7 novembre dernier est passée une nouvelle loi. Il s’agissait de réactualiser la Loi Besson en intégrant notamment les communautés de communes. Mais députés et sénateurs ont profité de cette révision pour doubler les amendes et les peines de prison en cas de stationnement abusif. Cela a été ressenti par la communauté des gens du voyage comme une vraie marque de haine à leur égard. En plus, ce sont des dispositions qu’ils respectaient, notamment pour les grands passages. En effet, chaque année a lieu une négociation entre Vie et Lumière et le ministère de l’Intérieur, avec l’association Grands passages que nous avons créée il y a 15 ans. Dès le mois de décembre, les 110 à 130 groupes indiquent par où ils prévoient de passer, l’été qui suit, par séquences de quinze jours. Cette demande d’accueil est transmise aux mairies, aux préfectures, et maintenant il faut la fournir aussi aux préfectures de région. Or, dans le cadre de cette procédure, seulement 10 % des préfectures ou des mairies répondent au courrier que nous leur adressons. Chaque année en avril, à Nevoy, une rencontre de Vie et Lumière invite tous les correspondants des préfectures et mairies. Ceux qui se déplacent (un quart ou un tiers) sont informés des intentions, des dates, et font leurs remarques. Pour l’année 2018, avec environ 130 groupes qui représentent 1000 à 1200 implantations temporaires, nous n’avons eu que 3 plaintes en justice, pour dégradation ou incident. Donc, c’est un système qui fonctionne bien ! Malgré cela, les députés, les sénateurs imposent toujours plus de contraintes.

La frilosité des pouvoirs publics semble quand même due avant tout à la crainte d’incivilités ou de délits...

© Vie et Lumière
Sous le chapiteau des grands rassemblement

 

Mon regard n’est pas naïf. Il y a dans les prisons françaises des individus issus des familles du voyage qui ont volé ou été violents. Mais j’ai des retours qui disent autre chose. Sur le territoire de Nevoy-sur-Gien, dans le Loiret, a lieu le rassemblement prémigration de l’été. Gien voit à cette occasion sa population doubler pendant un mois, avec l’arrivée de 15 à 20 000 personnes supplémentaires. Pendant quelques années, le sous-préfet était un protestant et, me sachant concerné, il me téléphonait : « Tout s’est très bien passé, nous n’avons pas eu plus d’incidents qu’en temps normal à Gien ».

Dans quel but interpellez-vous les Églises de la FPF, concernant ces grands passages ?

Lorsqu’un groupe de 50 caravanes arrive dans un secteur et que, sur ordre des maires, la gendarmerie les bloque à la sortie de l’autoroute, c’est forcément gênant... Ces dernières années, certaines municipalités ont envoyé les agents qui verbalisent pour stationnement interdit 50 caravanes à la suite. Dans certains cas, ils repassent une heure, et deux heures plus tard, pour établir 50 + 50 autres PV, sur les mêmes véhicules ! C’est totalement contraire à la loi et nous avons fait remonter cela au défenseur des droits, M. Toubon. C’est ce type de discriminations que nous voudrions éviter en prévenant les communautés protestantes locales d’un passage sur une période donnée. Nous souhaitons que s’instaure une vigilance, un soutien et appelons à former localement des groupes Apatzi afin d’organiser la rencontre. Comme ancien président de la FPF, je crois beaucoup aux relations entre les Églises ! 

 

DES MOTS…

Être nommé

et se nommer

En France, ceux que l’on appelait autrefois Bohémiens ou Romanichels sont depuis longtemps désignés par le terme générique de Tsiganes. Mais en 1971, à la suite d’un premier Congrès rom ou rrom, c’est l’appellation Roms qui a été officiellement adoptée par les institutions européennes. Elle englobe des minorités très variées, dont les divers groupes de Roms d’Europe centrale et orientale. Ce terme correspond donc à une auto-appellation pour les Roms… mais pas pour les autres ! Et d’ailleurs, les Manouches, Gitans et voyageurs refusent de leur être assimilés.

Le terme Tsigane, positivement employé chez les gens du voyage pentecôtistes en France, relève pourtant de l’injure dans bien des pays et il est aujourd’hui proscrit par certains militants. En effet, il peut rappeler l’esclavage qui fut pratiqué en Europe centrale pendant un demi-millénaire, ainsi que les terribles persécutions, déportations et génocide organisés dans toute l’Europe au xxe siècle. Un peu comme si l’on parlait aujourd’hui de nègres pour désigner les populations africaines ou d’origine africaine.

Dans cette complexité, gardons à l’esprit que les catégories employées ne sont pas figées et que les personnes ainsi regroupées ont des façons variées de s’auto-identifier. Cela pose la question d’un droit plus symbolique : qui nomme qui ? Et qui décrète la ressemblance ou la différence ?

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Un soutien juridique et humain

L’Apatzi

Fin 2015 était créée l’Association protestante des amis des Tziganes (Apatzi), présidée par Jean-Arnold de Clermont, ancien président de la FPF. Séverine Faubeau en est la secrétaire exécutive.

L’Apatzi fait valoir les droits des gens du voyage, travaille à la reconnaissance de la liberté de circuler et de vivre en caravane. Elle œuvre en partenariat avec l’Association sociale nationale et internationale tzigane (Asnit) et la mission évangélique Vie et Lumière, en lien avec d’autres associations de voyageurs : l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC, catholique) ou la Fnasat (laïque).

Parmi ses actions, on peut citer, dans le Val-d’Oise, la création prochaine d’un groupe de soutien scolaire avec l’Église tzigane d’Herblay, une expérience pilote. Ou l’organisation, pour le printemps, d’un concert porté par des musiciens de Vie et Lumière, en lien avec l’EPUdF d’Ermont.

Une nouvelle version du Guide juridique de l’Apatzi a été mise en ligne. On peut écouter sur son site une conférence sur l’histoire des tziganes et des gens du voyage. L’association a élaboré pour le Musée virtuel du protestantisme deux notices sur le protestantisme en milieu tzigane. La radio Fréquence protestante diffuse, le 1er samedi du mois, à 16h15, l’émission Parcours tzigane, dont certains créneaux sont consacrés à l’action de l’Apatzi.

Propos recueillis par Séverine Daudé journal Échanges

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