Témoignage

Un dialogue nécessaire mais difficile

01 février 2019

Patrick Genet, après avoir été responsable de la communication du diocèse de Lyon et formateur en communication, a tenté l’aventure d’une revue trimestrielle consacrée à la question du dialogue interreligieux, mettant en avant les personnes engagées dans la société et l’engagement social et culturel au nom de leurs valeurs spirituelles au sens large. Il trace les lignes du dialogue interreligieux, sa nécessité et ses écueils possibles.

Quelle est selon vous la place du dialogue interreligieux dans le contexte de notre société ?

– Ma première réponse est qu’il est incontournable, indiscutable, que c’est forcément une bonne chose. Mais cette réponse, quelque peu angélique, éthérée, ne fait pas place aux difficultés d’un tel dialogue, à ses limites, à ses écueils possibles. Les choses ne sont en effet pas si claires – une telle réponse est nécessaire, mais pas suffisante, de même qu’on peut dire que le dialogue interreligieux est en lui-même nécessaire, mais pas suffisant.

 

Quelles limites voyez-vous à un tel dialogue ?

– La première tient à la précision nécessaire de l’identité des acteurs de ce dialogue. De fait, il y a une pluralité des dialogues au sein même des courants et des institutions qui les animent. On voit très clairement poindre, par exemple, des dialogues interreligieux entre les courants les plus conservateurs des différentes confessions et religions qui se retrouvent sur des positions orthodoxes au niveau sociétal ou éthique. Considérer le dialogue interreligieux, c’est donc d’abord prendre au sérieux la diversité et la complexité de ce dialogue et de ses acteurs. D’ailleurs, il vaudrait mieux de ce point de vue là parler de dialogues interreligieux au pluriel que de laisser l’expression au singulier.

Comment est-ce que la question de ses acteurs fait bouger le cadre d’un tel dialogue ?

– Un tel dialogue est toujours en tension. Il ne suffit pas de vouloir que cela fonctionne pour que ça fonctionne effectivement. C’est bien de tendre la main à l’autre, mais cela pose tout de suite la question des limites à cette main tendue : avec qui est-ce qu’on dialogue et jusqu’où ? Si ne pas juger l’autre est un préalable indispensable à de telles rencontres, cela ne signifie pas qu’on puisse tout accepter.

 

Sur quelles bases alors mettre en œuvre un dialogue interreligieux ?

– Là encore, le cadre peut bouger beaucoup en fonction des acteurs qui sont engagés dans ce dialogue. Échanger autour des questions théologiques est tout de suite très compliqué et risqué parce que cela semble placer les uns et les autres dans une forme de concurrence. Dialoguer autour de la question des valeurs fait également très vite émerger les limites et les écueils de l’échange. Qu’entend-on par valeurs ? S’il s’agit d’un corpus de contenus liés à la culture, à la tradition, au spirituel et au sociétal, on entre très vite dans des débats liés à la place des personnes qui dialoguent (engagent-elles la parole de leur communauté ? de leurs institutions ?) et liés aux questions qui créent des tensions dans notre société pour certaines communautés : la place de la femme, la question du respect des rites alimentaires, etc. On voit très bien dans l’actualité médiatique combien ces sujets peuvent être caricaturés, instrumentalisés.

Face à de telles difficultés, un tel dialogue est-il possible, au fond ?

– Oui, tout à fait ! Ce qui reste important, c’est le dialogue, le besoin de comprendre l’autre avec ses propres nuances, ne pas en rester à des simplifications. Souvent, nous en restons aux a priori et aux fantasmes. Il faut se donner le cadre et le contexte pour pouvoir discuter. C’est pour moi de l’ordre de l’impératif spirituel : ne pas céder à une certaine fainéantise, ne pas enfermer l’autre dans les fantasmes que l’on a à son égard. Dans le dialogue, on laisse une chance de ne pas en rester aux présupposés sur l’autre, même si parfois ce dialogue s’avère décevant.

 

Sur quel plan devrait se situer le dialogue interreligieux ?

– Pour ma part, j’en vois au moins trois : social, personnel et institutionnel. Sur le plan social, il s’agit de l’une des conditions du vivre-ensemble, ou plutôt, parce que je préfère cette expression – moins fourre-tout – du faire ensemble. Sur le plan personnel, il s’agit de la nécessité spirituelle de faire place à l’autre. Les institutions, religions et civiles, sont, quant à elles, sollicitées à la fois pour donner l’exemple et pour nourrir la réflexion. Dans le tout qui constitue une société plurielle, telle que la nôtre, les trois doivent être au rendez-vous.

J’ajouterai que, pour moi, un tel dialogue dans la société ne doit pas laisser de côté les agnostiques ou les non-croyants. Les oublier dans un dialogue qui deviendrait le dialogue des croyants entre eux, c’est tomber dans un nouveau cloisonnement, et le tissu social reste déchiré, cette scission demeure. Dans ce sens, j’aime l’expression qu’emploie, entre autres, à Lyon, le Groupe Abraham, qui parle plutôt de dialogue interconvictionnel que de dialogue interreligieux.

Toute la richesse du dialogue interreligieux est de faire dialoguer des opposés © C. Jacon

Quelle est la finalité d’un tel dialogue ?

– Pour une société plurielle, je crois qu’il y a une dimension presque pédagogique, philosophique, au dialogue des convictions. C’est apprendre à ouvrir la porte à la contradiction, à ne pas se laisser enfermer dans des dogmes, qu’ils soient religieux ou politiques. En ce sens, c’est un dialogue qui ne doit pas être laissé aux institutions seules. Si le terrain ne suit pas, cela devient un dialogue d’élite et marque encore plus profondément les ruptures et les déchirures au sein de la société.

 

Malheureusement, les acteurs publics sont peu équipés et sont souvent démunis face aux questions du spirituel et le cadre d’un tel dialogue est trop peu souvent mis en place. Il y a souvent de la peur face aux religions et spiritualités et on assiste alors à une laïcité assez exclusive ou intransigeante, quand la laïcité n’est pas elle-même instrumentalisée au profit de discours de repli sur soi et de peur de l’autre.

 

Une revue telle que Points comme un que vous avez lancée a-t-elle sa place pour favoriser un tel dialogue ?

J’en reste convaincu même si, au terme d’un peu plus d’une année de fonctionnement, cette revue n’a pas totalement trouvé son lectorat. Pour l’instant, l’édition papier va probablement rester en sommeil quelque temps, alors que le site internet www.pointscommeun.fr va poursuivre son existence. Il y a cependant à Lyon un contexte favorable à approfondir et à enrichir ce dialogue. La métropole lyonnaise est, de ce point de vue là, l’un des lieux où le dialogue interreligieux s’est aujourd’hui durablement implanté grâce à la convergence d’une histoire politique locale favorable (ville modérée et de brassage d’idées), de la volonté de femmes et d’hommes politiques qui ont mesuré ce besoin de dialogue et de personnalités fortes, dans les différents courants religieux de la ville, très favorables au dialogue depuis plusieurs décennies.

Rencontre de la Communauté Sant'Egidio à Lyon en 2016 © Sant'Egidio
propos recueillis par Gérald Machabert
journal Réveil

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