Lieu de paix (7)

Un chemin de paix

27 juin 2018

Certains chemins ardus exigent plus que de l'expérience. Cette histoire en haute montagne aurait pu mal tourner. Elle se transforme en parabole lumineuse sur la paix où conduit la confiance.

Combien de tentatives sur ce versant avant d’atteindre le sommet ? Cinq, il me semble. Cinq. Repoussé une fois en été par un violent orage, une fois en automne par le brouillard, une fois encore par l’état déplorable du glacier, une fois échouant faute de trouver un bon itinéraire… À chaque fois, intérieurement, pester. Plus qu’une ambition, ce sommet loin de tout, avec son versant nord-ouest, est devenu au fil des années une obsession, un tourment. Entre la documentation, l’observation aux jumelles, la préparation des tentatives et les échecs, j’ai dû lui consacrer plusieurs centaines d’heures. J’en ai rêvé. J’ai cauchemardé, aussi, mon esprit imaginant des chutes de pierres, ou de séracs, ou de grimpeur… Jouer le jeu de la montagne conduit parfois à des excès. « Ils sont trop verts, dit-il, et bon pour les goujats », cette sagesse n’est alors plus celle du grimpeur.

 

J’ai levé les yeux vers les montagnes, une fois de plus. Au tout jeune homme qui m’accompagnait cette fois-là, je n’ai pas promis de sommet, juste une longue et hasardeuse course. Il a signifié son accord. Et nous sommes partis avant le petit matin. La météo ne nous laissait guère d’illusions, mais l’obsession était bien là. Pendant toute l’approche, les tentatives précédentes me sont revenues en mémoire, avec en plus le souvenir de la catastrophe qui avait eu lieu sur ce versant huit années plus tôt. Je pensais à la sécurité de mon précieux compagnon. Moi ? Aucune importance. Les trois premières heures de l’approche ont été silencieuses.

(© pixabay)

 

Je me souviens très précisément du moment et de l’endroit où, tout à coup, j’ai trouvé la paix, paix avec cette montagne, avec ce projet, paix avec moi-même, et avec cette paix un sentiment indiciblement joyeux. Ignorant tout de la suite, et pourtant en paix. L’accès au glacier était trempé et glissant, le glacier lui-même très crevassé, la rimaye profonde et ouverte comme jamais. Nous avons trouvé un passage scabreux sur la rive gauche du couloir. Et puis tout s’est enchaîné, paisiblement. Le jeune homme me suivait. Aux relais il s’inquiétait, nous étions très haut, le temps passait, les nuages bourgeonnaient, aucune retraite n’était possible. J’étais en paix.

 

« Prenons vers la droite », ai-je dit à mon compagnon. Mais quelques dizaines de mètres plus haut, sans vraiment savoir pourquoi, j’ai obliqué franchement à gauche. Il a demandé pourquoi ; je n’ai rien eu à lui répondre. Puis il est apparu encore un peu plus haut qu’une goulotte, à gauche, pouvait nous mener presque droit au sommet. Nous sommes sortis sur la crête sommitale. Mon compagnon exultait. J’étais en paix.

 

Quinze heures après être partis, nous sommes revenus à notre point de départ. Le jeune homme était fourbu. J’ai levé une fois encore les yeux vers les montagnes, et j’ai rendu grâce à Dieu.

 

 

Jean DIETZ,
pasteur au Creusot

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