Penseur de l’éphémère
« … Ainsi parlait Qohéleth, celui qu’on appelle l’Ecclésiaste. »
Nous ne savons pas qui est cet auteur, même s’il lui arrive de prétendre qu’il a été roi en Israël, usurpant ainsi l’identité de Salomon, la figure par excellence de la sagesse biblique. C’est un anonyme qui, comme tant de philosophes, avance à couvert, sans vouloir se démasquer.
Son secret lui appartient. Grâce aux savants, nous pouvons toutefois penser que nous avons affaire au témoin d’un judaïsme confronté à l’hellénisme, cette culture grecque mondialisée, répandue dans le monde méditerranéen après l’épopée d’Alexandre le Grand.
La vie est un songe
L’Ecclésiaste est frotté de philosophie. Apparemment parvenu au soir de l’action et de la pensée, il jette un regard rétrospectif sur son existence.
Il réfléchit à la vie, à la mort, au temps qui passe, à ce qui compte et à ce qui ne compte pas. Pour lui, la vie est une énigme : « vanité des vanités, tout est vanité. » Vanité rend un mot hébreu qui signifie : haleine, buée. L’Ecclésiaste est le penseur de l’éphémère, de l’évanescent : la vie est un songe.
Conscient de la fragilité des choses et des êtres, il a tout expérimenté et il est revenu de tout : le pouvoir, les affaires, l’amour, l’argent, le travail. Face à la finitude du monde et à l’incohérence de l’existence, il nous parle comme un grand désabusé : à quoi bon ?
C’est le penseur de l’intranquillité qui vient débusquer celles et ceux qui sont trop bien installés : tu peux bien faire fortune, acquérir la gloire, connaître la célébrité et la reconnaissance, un jour, tout cela tu devras le laisser et peut-être même avant ta mort. Oui, tout est vanité !
Déconstruction
L’Ecclésiaste a voulu remettre en cause la doctrine traditionnelle de la rétribution qui voit dans le bonheur et la réussite une bénédiction divine accordée au juste. Mais il va encore plus loin. Quelle raison d’être l’homme peut-il trouver sur cette terre ? Le processus de déconstruction va jusque-là.
Je pense aux premières lignes d’Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe : « il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »
La vraie religion…
Rien ne vaut rien et tout passe, nous dit l’Ecclésiaste dans un premier temps. C’est la petite voix, un peu grinçante, mais finalement opportune, qui vient nous empêcher de tout prendre au sérieux et qui ose démystifier ce qui doit l’être.
Notre auteur est ainsi le tenant d’un gai savoir rappelant que la vraie philosophie se moque de la philosophie, que la vraie morale se moque de la morale, que la vraie religion se moque de la religion ainsi que des caricatures que nous en faisons trop souvent dans nos vies.
Avec Qohéleth, on dégonfle les baudruches et c’est bien. Il n’offre pas de réponses définitives aux grandes questions de l’existence, mais il dépose en nos esprits l’inquiétude qui nous arrache au confort spirituel et intellectuel. C’est un empêcheur de penser en rond. Il en faut.