Année Luther… (9)

Luther et la musique

01 mai 2017

Pour Martin Luther, la musique est une seconde nature. Il a probablement chanté comme tous les enfants de l’époque à l’école et il a appris le luth lorsque, étudiant à Erfurt, il a dû rester immobilisé, après s’être blessé à la cuisse.

Pour Luther, la musique est un « excellent don de Dieu que le diable lui-même ne supporte pas ». Elle a une fonction d’exorcisme et de guérison. Luther rappelle David jouant de la harpe à Saül, ou même un vers de Virgile. La musique est élevée au second rang, après la théologie.

Un don de Dieu à l’usage de tous

On en était venu, semble-t-il, à ce que les « laïcs » ne chantent plus dans les célébrations (et en latin de surcroît), à l’exception des chants populaires de fête ou de procession. Luther, au contraire, s’appliquera à ce que la musique et le chant ne soient pas la science des clercs, mais la pratique du peuple.

Même l’orgue, « instrument de chœur, deviendra un instrument de nef » (dixit Bernard Reymond, Le protestantisme et la musique, Labor et Fides 2002). L’invention du moyen d’imprimer la musique par le Vénitien Petrucci, en 1501, facilitera aussi cette démocratisation.

Une fonction pédagogique

Alliée à la Parole de manière simple, la musique ne se contente pas d’apaiser les mœurs et les états d’âme. Pour Luther, l’humaniste, elle a une fonction pédagogique essentielle aux plans éducatif, doctrinal et liturgique, mais aussi comme chant de combat dans l’adversité spirituelle et préconfessionnelle de son temps (Ein feste Burg — C’est un rempart — inspiré du Psaume 46).

La musique et le chant sont pour lui si essentiels à la formation des esprits, pour rendre les gens « plus moraux, calmes et raisonnables », qu’il n’est pas imaginable d’ordonner un pasteur ou nommer un maître d’école qui ne se serait pas exercé au chant et à la musique ! Et de fustiger les « nobles et grosses légumes » qui voudraient économiser sur la musique 

La musique annonce la parole de Dieu

Luther n’a pas été le seul, mais sans doute le premier des réformateurs et peut-être le principal, à avoir une pensée et une pratique de la musique et du chant. Moine augustin et commentateur du livre des psaumes, on peut imaginer qu’il a puisé chez Saint Augustin de quoi considérer la musique et le chant comme un reflet (materia prima) de la musique céleste et comme l’un des principaux véhicules de la Grâce divine. De ce point de vue, elle a le même statut que la Parole : Dieu annonce l’Évangile aussi par la musique. Nous sommes loin de la conception, rencontrée souvent dans nos Églises, qui considère la musique comme une sorte de garniture sonore !

Mais à l’inverse, cela pose une exigence vis-à-vis de la musique. De la même manière que la Parole de Dieu exige d’être portée par des mots justes, clairs et intelligibles par tous, la musique doit être adaptée à tous, et les chants en langue vulgaire doivent être soignés et porter clairement l’Évangile du salut.

Quarante-trois chants de sa composition

Luther mettra donc lui-même en œuvre ces principes. D’abord par des arrangements d’œuvres liturgiques parfois très anciennes, traduites et versifiées en langue vulgaire, sur des mélodies créées ou empruntées pour l’occasion. Ainsi, dans la messe allemande, toute l’assemblée chante désormais le Kyrie, le Gloria, le Credo, le Sanctus et l’Agnus Dei, des chants qui forment la foi du peuple.

Mais il y a surtout les chorals qui expriment l’essentiel de la foi chrétienne, la théologie de l’incarnation et de la croix, de la grâce et de la foi seule, et la piété du fidèle devant Dieu (coram deo).

La forme strophique et répétitive, sur des mélodies abordables par tous, en facilite la mémorisation. Luther n’hésitait pas à cautionner la reprise de « chansons inutiles ou honteuses chantées dans les rues, les champs, les maisons », car « elles perdent leurs mauvais effets du fait qu’elles ont des paroles et des textes chrétiens, bons et utiles ».

Il encouragera d’autres compositeurs et auteurs, et bientôt les chorals seront harmonisés à plusieurs voix. On dit qu’au temps de Bach, il existait près de 5 000 chorals. Aux côtés des psaumes de la tradition plus calviniste, ils portent encore la piété protestante y compris réformée. Et l’on sait comment le génie de Bach les a encore transfigurés, développés à l’infini, en cantates, oratorios et passions. Et la source créative d’un chant protestant ne s’est pas tarie, voyez le site www.cantique.fr.

Gill DAUDÉ
pasteur à Aix-en-Provence

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