Les Églises en Europe défendent les droits humains
Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France, et de la Conférence des Églises européennes pour quelques mois encore, était invité en région PACCA à l’occasion de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, sur le thème : « Unité des Églises, unité de l’Europe ». Résumé d’une riche intervention…
Au niveau européen, en dehors des organismes de représentation catholique, il y a la « CEC » ou « KEK » : en français, la Conférence des Églises européennes… mais on n’utilise pas le sigle CEE ! Elle compte sur l’ensemble du continent 114 Églises appartenant à trois familles confessionnelles : les traditions anglicane, orthodoxe et protestante - Églises luthériennes et réformées, baptistes et méthodistes - auxquelles s’ajoutent l’Église vieille catholique et l’Église apostolique arménienne. Un ensemble marqué par une grande diversité de régimes : taille, caractère majoritaire ou minoritaire, relations entre Églises et État…
Rassemblements œcuméniques
Christian Krieger raconte la fondation de la CEC en 1959 : « Dans une Europe ravagée par la Seconde Guerre mondiale et la tension géopolitique avec l’Est, les Églises ont voulu constituer une “conférence” pour être vecteurs de paix et de réconciliation. »
L’histoire de la CEC est jalonnée de grands rendez-vous, comme ces rassemblements européens co-organisés avec le Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE, catholique) : à Bâle (1989), Gratz (1997) et Sibiu (2007), avec chacun sa thématique et la couleur de son époque. Sans oublier la publication de la Charte œcuménique, signée en 2001 dans la perspective d’aider les chrétiens à s’approprier les avancées œcuméniques du 20e siècle.
Dans une Europe en construction
Le président revient sur la construction européenne : « L’Europe unie, c’est à la fois une réalité, un projet et un défi permanent ! » Parmi les nombreuses étapes du processus sont rappelés quelques repères du côté spirituel. Par exemple, l’interpellation de Jacques Delors sur la nécessité de « donner une âme à l'Europe ». Ou bien, autour du traité de Lisbonne, le débat sur la mention des racines judéo-chrétiennes de l’Europe, qui ne figure pas, finalement, dans le préambule. En revanche figure l’article 17, « socle de l’action des Églises auprès des institutions européennes ». L’article tient en trois phrases : l’UE respecte les cultes et reconnaît la compétence de chaque État pour les organiser ; même chose concernant les organisations philosophiques et non confessionnelles ; enfin, l’UE maintient un dialogue ouvert, transparent, régulier avec ces Églises et organisations. « J'en rêve pour la France ! » s’exclame le pasteur Krieger, insistant sur l’importance d’une telle démarche.
Des rencontres régulières
Le président de la CEC détaille les divers modes d’intervention auprès de la Commission européenne et du Parlement européen : rencontres et séminaires plusieurs fois par an, invitation à intervenir auprès des parlementaires européens en charge d'un dossier spécifique. Le Conseil de l’Union européenne est présidé par un pays différent tous les six mois. « Le cardinal Hollerich [président de la Comece, la Commission des épiscopats de l’Union européenne] et moi, raconte l’intervenant, nous rencontrons systématiquement les autorités du pays qui préside l’Union, sur les priorités de la mandature, nos recommandations... Notre démarche est commune car les Églises ne peuvent pas plaider pour une Europe unie si elles ne parlent pas d'une seule voix. »
D’une seule voix
Lors d’une session de la « Conférence pour l’avenir de l'Europe », le cardinal étant empêché d’y participer, Christian Krieger a pris la parole au nom des catholiques, des anglicans, des orthodoxes et des protestants. De longs applaudissements ont suivi – dus, selon lui, au fait que l’Europe est très sensible au visage d’unité des Églises. Un autre souvenir commun très fort : ce message de Pâques 2022 envoyé à la frontière ukrainienne de la Pologne, qui accueillait alors les réfugiés et une aide humanitaire arrivant de toute l’Europe.
Unité de l’Europe et unité des Églises, deux sujets intimement liés, affirme-t-il : « Le projet d’union européenne ne peut être sans la contribution des Églises et, inversement, le projet de rencontre des Églises est au bénéfice de notre présence sur le terrain en Europe. »
Une certaine vision de l’humain
« Je suis convaincu du rôle des Églises en Europe, conclut le président Krieger, et je peux attester qu’elles le jouent dans un esprit de communion fraternelle en Christ. À Bruxelles, 30 000 lobbyistes professionnels défendent les intérêts d’entreprises diverses. Les Églises n’ont pas d’intérêts à défendre, mais nous intervenons pour défendre une vision de l’Europe, une vision de l’humain au cœur des sociétés européennes. »
Les sujets auxquels travaille la CEC ? La justice sociale, la liberté d’expression religieuse, la solidarité, la démocratisation en Europe, la justice climatique, l’œcuménisme, la bioéthique ou encore la question de l’homme augmenté…
L’indispensable « plaidoyer »
« On me demande souvent : est-ce que c’est efficace ? Quand en 2019, en décembre, nous avons remis à la vice-présidente de la Commission européenne un texte qui évoquait Jésus né sur les routes, le recensement, puis l’exil… en lien avec le besoin d'accueil des migrants et une Europe plus hospitalière que celle de Frontex, Mme McGuinness, catholique irlandaise, nous a répondu : “Le plaidoyer que vous me remettez est très embarrassant pour moi, politiquement, mais vous êtes dans votre rôle et je vous remercie de le faire, parce que le plaidoyer populiste, je l’ai tous les jours ! Si vous vous taisiez, personne ne défendrait la cause des migrants. C'est précisément parce que vous parlez que nous aurons une voie moyenne, qui ne va pas pleinement vous satisfaire, mais nous évite d'être seulement sous la pression de ceux qui veulent une Europe repliée sur elle-même.” »