Le Réveil ou la sédation ? Les profondes convictions d’un homme de paix
Cofondateur du mouvement Jalmalv et protestant engagé, René Schaerer a cherché toute sa vie à vivre sa foi au plus près des hommes, sans reniement et sans dogmatisme.
Il vient de rentrer de Saint-Laurent-du-Pape, de la vieille maison familiale conservée en l’état jusqu’à aujourd’hui. Ils ont fait le tri parmi les souvenirs, parcouru les vieilles lettres, jeté les prédications paternelles. René Schaerer est bien un enfant de là-bas ! Un fils de ce Réveil de l’Ardèche qui a pris racine en ces lieux. Louis Dallière y avait introduit dans les années 30 la pensée « pentecôtiste » de Douglas Scott, devenant chef de file d’un mouvement spirituel qui allait toucher la vallée de l’Eyrieux et s’enraciner à Charmes-sur-Rhône. Henri Schaerer, pasteur venu de Suisse, allait s’inscrire dans ce renouveau. Et sa future femme suivre, elle, la formation d’évangéliste à Dieulefit, portée par l’autre Réveil de cette même époque. René est ainsi marqué par la sensibilité charismatique, et toujours fidèle à l’Union de prière de Charmes !
Un enfant du Réveil de l’Ardèche
Pourtant, cette figure posée de 86 ans n’a pas attendu la sagesse des années pour conjuguer zèle missionnaire et dialogue raisonnable avec tous, piétisme fervent et engagement diaconal. Alors que la paroisse de Saint-Laurent-du-Pape a quitté l’Église protestante unie, lui veillera toute sa vie à conjuguer les visions, maintenir l’unité et s’engager dans sa communauté locale : « Je dois énormément à mon Église. J’ai promis de lui être fidèle à ma confirmation. Je ne vais pas me dédire. » Cet homme modéré, refusant toute vision dogmatique, reste cependant attaché à ses convictions revivalistes et au texte des Écritures. S’il n’a pas rejoint le courant des Attestants, ce n’est pas par manque de courage, mais parce qu’il refuse « de déclarer infidèles d’autres frères avec qui il partage la même Sainte Cène ».
Un homme de prière, fidèle à son Église
Je le rencontre sur les hauteurs de Corenc, dans une demeure où, avec son épouse Annie, ils ont accueilli tant de monde, fidèles à cette culture de la table ouverte reçue dès leur jeunesse. Mens et le plateau du Trièves – où son père sera pasteur dix ans – a marqué l’enfance de René. Il aime ce plateau retiré avec son « bonnet de Calvin » (mont local ainsi rebaptisé), cette mentalité singulière où le protestantisme a pu croître. Depuis, il ne se lasse pas d’arpenter les coteaux de Belledonne plus proches, pour y cueillir champignons, châtaignes, myrtilles. Il passera ses années de collège à Charmes, dans l’école protestante. Dans ce lieu préservé des « mauvaises influences », il reçoit le baptême, par immersion, dans un baptistère installé pour l’occasion au temple. Cette pratique singulière et clairement non-pédobaptiste est un marqueur de ce courant et entraînera en 1970 l’établissement d’un protocole d’accord entre l’Église réformée et l’Union de prière.
Les années suivantes à Grenoble, au lycée Champollion comme au sein de l’Église réformée locale, seront bien différentes, socialement et théologiquement. René s’investit dans la « Fédé », et en devient le président local. Il apprécie l’accent mis sur le témoignage et illustré par le slogan : « Faire Christ roi dans cette génération ! » Il développe le partenariat avec le Groupe biblique universitaire local, de sensibilité plus évangélique, et rencontre celle qui deviendra sa femme. En 1954, il entreprend ses études de médecine, et fera ensuite toute sa carrière à Grenoble.
Son investissement et celui d’Annie dans la communauté protestante seront forts et d’une grande fidélité. Membre du conseil presbytéral durant un mandat, puis du Diaconat protestant où il « apprécie le partenariat œcuménique avec le Secours catholique », ils sont aussi des piliers fidèles des temps de prières paroissiaux. Prédicateur fidèle et sollicitable au dernier moment – l’auteur de ce texte en témoigne ! –, René assure encore aujourd’hui quelques cultes.
Un médecin jusqu’au bout de la vie
Selon lui, sa « vie professionnelle est tout à fait ordinaire ». Il fait pourtant partie de cette génération d’internes qui ont bâti le Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble / La Tronche, travaillant à plein temps sur place, développant de nouvelles spécialités. L’hématologue Daniel Hollard lui demande de se spécialiser en cancérologie. Le jeune maître assistant, plutôt que de foncer dans la radiologie en pleine expansion, se forme en oncologie médicale, ouvre et développe une unité de soin qui le place au plus près de la maladie et des patients. On comprend pourquoi alors il s’intéresse à la fin de vie, délaissée à l’époque, et œuvre avec la psychiatre de l’hôpital, Jeanine Pillot, au développement des soins palliatifs sur place. À force d’années de combat, une unité mobile est ouverte, parmi les premières en France. Entre-temps, il a appris à soigner la douleur, à « dire la vérité au malade », à accompagner les longues maladies et les demandes singulières.
Mais devant les réticences médicales, leur combat se porte aussi en direction de la société civile. Ils créent l’association Jalmalv en 1983, multiplient les conférences et formations, diffusent la pensée palliative à travers une revue qui publie aujourd’hui son 150e numéro. « Jusqu’À La Mort, Accompagner La Vie » : ce titre suggestif dit tout de leur combat et fera connaître René bien au-delà de Rhône-Alpes.
L’ancien professeur de médecine et conférencier avait préparé ma venue et structuré son propos en quatre temps, quatre axes majeurs de sa longue et riche vie de croyant : l’attente du retour du Seigneur, le Réveil, l’unité des Églises, l’illumination du peuple juif ! L’espérance de la Parousie aiguise la foi de cet homme qui a côtoyé la souffrance et la mort. Le Réveil et « l’Union de prière lui ont donné une cohérence ». L’œcuménisme lui a conservé l’ouverture d’esprit et l’humilité de laisser Dieu seul juge. Son engagement dans le dialogue avec les juifs fut pour lui également essentiel. Il s’est nourri de son amitié avec le père Maurice, a pris corps dans l’association Ésaïe et au sein des Amitiés judéo-chrétiennes de Meylan. C’est sa façon à lui de cultiver l’ancrage biblique et d’honorer une communauté religieuse bien fragile mais forte de sa fidélité bimillénaire.
Euthanasie : « Ne le faites pas ! » René Schaerer a vu beaucoup de monde mourir dans sa vie, et cela renforce sa foi en la Résurrection. Il a longtemps donné un cours sur la mort aux étudiants en médecine de première année, et reconnaît « légitime la question de l’euthanasie comme le droit pour chacun de disposer de sa vie ». Mais le jeune interne grenoblois, découvrant l’usage croissant des cocktails lytiques, décide de ne plus les prescrire. Il emprunte alors – et contribue à ouvrir – la voie novatrice des soins palliatifs. Comment vit-il le débat, à nouveau relancé, autour de la fin de vie ? Sans se leurrer sur l’aboutissement du processus actuel, il garde sa position prudente, proche d’un Didier Sicard, critique sur l’exception d’euthanasie et ses conséquences sociales. Comme ancien clinicien, il insiste pour dire combien « cela blesse la conscience de celui qui soigne ». Comme citoyen, il y voit aussi une incohérence et une régression : « La société, qui a mis dans sa Constitution l’interdiction de la peine de mort, va accepter de faire mourir l’un des siens ! » |