Lieux de paix (5)

La maison aux volets bleus

01 mai 2018

Une histoire d’amour peut naître entre une maison décatie et une personne qui la visite pour la première fois. Ce sont justement ses « rides », son histoire, qui feront d’elle, pour sa nouvelle locataire, un lieu où vivre en paix.

(© Guylène Dubois)

 

Tu ne choisis pas les lieux qui t’habitent. Ils s’emparent de toi. Tu les aimes, sans savoir dire pourquoi et en dépit de toute apparence. Tu ressens pour eux une sorte de familiarité, une connivence et un accueil qui se trouvent déjà là et que tu ne maîtrises pas.

 

Le presbytère de Carnon-Plage se dissimule à moitié derrière le temple, aujourd’hui abandonné, de la rue Grassion-Cibrand. Quand tu es encore derrière le portail en fer forgé qui sépare l’espace de l’allée du presbytère de la rue, tu ne peux voir que deux fenêtres aux volets clos tout en devinant la présence d’une porte d’entrée. Tu découvriras la troisième fenêtre plus à gauche en cheminant plus tard dans l’allée.

 

Tu pousses d’un coup d’épaule la grille. La lourde serrure rouillée est restée figée et laisse déborder le pêne qui frotte sur le mur de la maison voisine. En te retournant pour contrôler que tu as refermé la grille, tu constates que les arabesques qui partagent en deux parties, le décor en fer forgé, dessine deux croix, celle de Camargue et celle de l’Église réformée. Tu vois maintenant toute la façade, où les volets bleus et la porte, elle aussi peinte en bleu, lui donnent une harmonie de couleurs sur un mur crépi en jaune pâle. Le crépi se désagrège et la peinture s’écaille.

 

La clé ouvre en un tour la porte et tu as face à toi une pièce carrelée. Tu ressens immédiatement de la fraîcheur appréciée en ce mois de juillet, mais que tu redouteras aux premiers mois de l’année. Cette première et principale pièce propose, en face, un étroit couloir qui mène à une cuisine équipée du minimum requis pour préparer à manger. Au bout du couloir, une porte s’ouvre sur une terrasse entourée d’une haie qui cache des passants de la voie piétonne. Des plongeons sonores, des rires, des pleurs d’enfants envahissent l’atmosphère d’une ambiance de vacances insouciantes.

 

Un tricycle moisi, un landau de poupée cassé, un barbecue abîmé marquent la présence d’une famille logée dans ces lieux, l’été passé. De retour dans la maison, tu ouvres les autres portes et tu découvres dans un cagibi une machine à laver en panne, dans la chambre qui donne sur la courette des lits superposés cassés, dans un recoin des w.c. accolés à une douche et la première pièce à gauche en entrant est aussi une chambre que tu vas faire tienne. L’aspect rudimentaire et vieillot de l’ensemble devrait te rebuter. Mais c’est comme si ton regard dépassait, transcendait cette apparence. Et face à ton propriétaire qui semble penaud de ce spectacle, tu te détaches de la réalité, tu t’en éloignes, pour déjà l’habiter. Et cette maisonnette s’ajoutera à ton histoire géographique, agrandira le cercle des lieux qui donnent sens à ta vie, au-delà de leurs murs et de leur matérialité.

 

Guylène DUBOIS,
directrice d’antenne de la radio FM-Plus à Montpellier

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