Jean 21.1-19 : Un matin de pêche
Ce passage de l’Évangile de Jean est un moment de grâce et de fraîcheur. J’aime infiniment ce texte pour son caractère apaisant, après la fureur et les tremblements de la Passion et de la résurrection.
Nous sommes là comme dans une parenthèse sereine, dans le calme après la tempête.
Et en même temps, c’est un peu surprenant. Tout se passe comme si, après avoir été parmi les premiers à répondre à l’appel du Christ et l’avoir suivi pendant trois années, puis après avoir été explicitement envoyés par le Christ ressuscité, ces hommes, ses disciples, reprenaient leur vie antérieure, au point même où ils l’avaient laissée à son appel.

Après la pêche incroyable du matin, de nouveaux chemins s’ouvrent…
© Shalev Cohen/Unsplash
L’absent
C’est de leur barque que Jésus les a tirés, c’est à leur barque qu’ils retournent. Comme si c’était pour eux la fin de l’aventure. On tourne la page. Comme si après avoir été les disciples d’un maître qu’ils ont suivi aveuglément et auquel ils ont obéi sans discuter, tout au long de ces trois années, ils étaient maintenant saisis de vertige devant l’absence. Et quand on est pris par la peur, nous le savons bien, un des moyens de se rassurer est de se réfugier dans le connu, le familier, le ritualisé, même.
J’imagine assez bien Pierre tournant en rond, incapable de se donner un but, incapable aussi de rester à attendre, lui qui a tellement circulé ces dernières années, incapable de rester à ne rien faire. Attendre quoi d’ailleurs ? Pierre est sans perspective concrète, sans programme, désorienté.
« Je vais à la pêche », lance-t-il à la cantonade comme on pourrait dire, de nos jours : je vais sortir le chien, ou faire un jogging – n’importe quoi plutôt que ce vide !
Et ses amis le suivent. Enfin, une initiative ! Ils ont l’habitude de suivre, ils ont besoin, eux aussi, d’occuper leurs mains pour domestiquer leurs pensées et calmer les questions qui doivent les traverser sans fin. Tout ça pour ça, doivent-ils penser !
Vers quelle victoire ?
Qu’on imagine seulement : cela fait quelques semaines, ils marchaient fidèlement à la suite du Messie, ils étaient heureux et fiers de tout ce que cet homme accomplissait au nom de Dieu ! Ces guérisons, ces libérations, ces enseignements ! Ces foules qui le suivaient, le traquaient même pour avoir seulement une petite chance de toucher ne serait-ce qu’un pan de son manteau ou de le voir.
Pour les disciples, c’était certain, ils allaient vers la victoire ! Il y avait eu le grave malentendu avec Judas qui croyait en une victoire guerrière.
Et il y avait eu l’arrestation. Et la mort. La fin d’un rêve !
Ils n’y avaient pas cru
Certes, le Seigneur leur était revenu. Certes, il leur était réapparu ! Certes, il leur avait déclaré : « Comme le père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Mais envoyés pour quoi ? Comment ? Les choses ne devaient pas être bien claires dans leurs esprits fiévreux. Sans parler de leurs remords face à leur lâcheté au moment de la mort de Jésus, et face à leur incompréhension et leur manque de foi. Il leur avait pourtant annoncé sa résurrection et, le moment venu, ils n’y avaient pas cru. Ils avaient sombré dans le désespoir.
Alors, comme on peut le faire quand tout se brouille, on va faire travailler ses mains sur ce qu’on sait le mieux faire, on va fatiguer son corps pour dompter sa pensée. Alors, ils partent à la pêche.
Après la nuit
Si l’on reprend l’appel des premiers disciples dans ce même Évangile de Jean, il se résume à ces quelques mots, en réponse à une question : « Rabbi, où demeures-tu ? » – « Venez et vous verrez. »
Ils l’ont suivi. Et ne l’ont plus lâché.
Le Jésus du quatrième Évangile a oublié de leur préciser ce que les synoptiques mentionnent : « Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. » Les voilà qu’ils n’ont plus personne à suivre, plus de lieu où demeurer avec leur maître, pas de clarté sur leur mission… Ils retournent donc à leur quotidien antérieur, à leur routine première.
Ce n’est sans doute pas ce que Jésus attendait qu’ils fassent. Pourtant, c’est quand même là qu’il vient à leur rencontre et les rejoint. Au cœur même de leur travail, Jésus se tient. À l’aurore, après la traversée stérile de leur nuit, il les retrouve, rend leur pêche fructueuse, les attend sur la plage et leur propose le repas.
Bien sûr, chez Jean, tout cela va bien au-delà d’une simple partie de pêche entre amis, et le côté bucolique de la scène ne saurait effacer l’aspect parabolique du filet rempli à craquer – qui les renvoie à leur mission de pêcheurs d’hommes, celle-là même qu’ils n’avaient pas perçue – ni celui du repas, qui renouvelle la symbolique de la multiplication des pains et leur rappelle la Cène.
Jésus est venu leur renouveler leur ordre de mission, mais sans heurts, avec bienveillance, dans la douceur d’un petit matin pâle, après une pêche généreuse et autour d’un repas partagé entre amis.
Jésus nous invite
Les récits d’apparition du Ressuscité nous rappellent ailleurs que le Jésus d’après Pâques se rend présent dans chacune de nos assemblées, chacun de nos cultes et qu’il nous annonce la paix.
Ce texte nous annonce que le Christ nous rejoint au plus quotidien de notre vie, au cœur de notre travail comme au milieu de nos moments de détente, et qu’il en est un participant attentionné. Nous découvrons ici comment le Ressuscité, vivant, s’invite dans nos propres vies, dans tous les moments de nos existences. Selon sa promesse entendue dans la finale de Matthieu, il ne nous laisse jamais seuls, désorientés, abattus.
Le Christ, aujourd’hui encore, nous invite, comme il invite ses disciples, à l’accueillir à tout moment, à ne pas avoir dans nos vies d’espace réservé.
Il nous invite surtout à prendre conscience que, à tout moment de notre existence et dans tous les contextes, son appel nous rejoint, sa Parole nous renouvelle, nous nourrit et nous envoie.
Matin après matin
Avec douceur et ténacité, il nous invite au témoignage. Avec tendresse il nous accueille et nous réchauffe.
Avec bienveillance et fidélité, il nous donne dans sa Parole et dans ses sacrements le moyen de retrouver des forces, de la motivation, du désir pour nous engager sur le chemin qu’il nous trace, dans la lumière nouvelle d’un matin rendu paisible par sa présence.
Et, matin après matin, il nous tend à nouveau les pains et les poissons à partager. Matin après matin, il nous demande avec douceur : M’aimes-tu ? Et il nous renouvelle dans notre mission.